Collection de yachts

Lorsque l’on parle de collection de yachts, on imagine aussitôt un ballet de coques blanches, un équipage tiré à quatre épingles et un coucher de soleil sur un port azuréen. Pourtant, derrière l’image de carte postale, se cache une approche patrimoniale précise, presque chirurgicale. Posséder plusieurs unités flottantes, c’est choisir un actif mobile, rare et immédiatement monétisable. C’est aussi, disons-le sans ambages, afficher un rang. Durant mes tournées d’inspection, j’ai vu plus d’une fois un dirigeant conclure un accord décisif à bord, verre de Meursault à la main. Le yacht devient alors bureau, résidence et salle de négociation, tout en restant un plaisir hédoniste assumé.
Un investissement en pleine mer
Un yacht, c’est de l’acier, du teck et beaucoup d’ingénierie. En finance, on appelle cela un actif réel. En pratique, c’est surtout une plateforme de revenus. Exemple : un 50 mètres correctement armé pour la location haute saison rapporte entre 250 000 € et 350 000 € la semaine. Dix à douze semaines louées, et l’on s’approche d’un rendement brut supérieur à certains immeubles parisiens. Maintenant, imaginez une escadrille de trois navires : un explorer pour les croisières polaires, un open rapide pour la Côte d’Azur et un catamaran hybride pour les événements corporate. Vous diversifiez les destinations, les profils de clients, les périodes d’exploitation. Mieux : vous lissez le risque de vacance. Oui, un yacht se déprécie. Oui, les capex sont lourds. Mais le couple valorisation–revenus, lorsque la marque du chantier est recherchée, peut s’avérer redoutablement efficace.
En résumé : naviguer est un plaisir, empiler des rendements l’est tout autant.
Le rôle de l'effet Veblen
Thorstein Veblen n’avait jamais posé le pied sur un flybridge, et pourtant son analyse résonne au mouillage de Saint-Barth. Plus le prix s’envole, plus la convoitise grimpe. Un yacht de 30 mètres se remarque ; deux yachts, amarrés bord à bord sous le même pavillon, marquent les esprits. J’ai vu un industriel racheter le sister-ship de son propre navire, simplement pour ne pas laisser la place à un concurrent lors du festival de Cannes. Irrationnel ? Pas tant que cela : il verrouille sa visibilité, accroît sa présence médiatique et dope, par ricochet, sa marque personnelle. Ce réflexe d’affichage confronte néanmoins l’acquéreur à un dilemme. En gonflant artificiellement la demande, il alimente une possible bulle. Lorsque les valeurs se resserrent, seuls les navires singuliers – dessins de carène signés, provenance irréprochable, carnet d’entretien exemplaire – se maintiennent. Le reste glisse, comme une coque mal nettoyée.
Exploration de l'univers des méga yachts
Au-delà de 80 mètres, on parle de méga yacht. C’est une micro-société nomade : spa, héliport, sous-marin d’appoint, cinéma Imax… Le « Flying Fox », 136 mètres de longueur, embarque deux niveaux de plage arrière et une salle de cryothérapie. Plus frappant encore : l’équipage permanent dépasse parfois soixante personnes, soit le staff d’un palace. Dans une collection, ces forteresses flottantes jouent le rôle de pièce maîtresse, à l’image d’une villa Eileen Gray dans un portefeuille immobilier. Elles attirent la presse, sécurisent des contrats de location XXL, mais obligent aussi à une gestion millimétrée : planning d’entretien sur cinq ans, négociation annuelle des places de port, rotation des équipages pour éviter l’effet burn-out. L’ajout d’un méga yacht transforme littéralement votre organisation patrimoniale. Il faut donc aborder la décision comme on aborde une prise de participation stratégique : avec des scénarios, des stress tests et quelques nuits blanches.
Liste des coûts associés
À chaque carat de plaisir répond un gramme de charges. Gardez ces ordres de grandeur en tête :
- Acquisition : de 5 M€ pour un 30 m semi-custom à plus de 500 M€ pour un géant signé Lürssen.
- Entretien : 6 % à 11 % de la valeur du navire par an, peinture comprise – et il faut parfois poncer jusqu’à la tôle.
- Personnel : un capitaine de 60 m se situe autour de 18 000 € mensuels, hors prime de charter.
- Port : Monaco, Ibiza, Miami : 3 000 € la nuit pour un 70 m en haute saison n’a rien d’exceptionnel.
- Assurance : 0,8 % à 1,2 % de la valeur assurée, selon historique et zone de navigation.
Ces chiffres, additionnés, découragent parfois les plus enthousiastes. Pourtant, mis en perspective avec les revenus locatifs et la plus-value potentielle lors de la revente, ils conservent leur logique. L’astuce : optimiser le ratio jours loués / jours personnels, et négocier chaque ligne de coût comme vous le feriez pour une participation industrielle. Sans discipline, la coque se transforme en gouffre. Avec méthode, elle demeure un levier patrimonial élégant.
Le futur de l'industrie des yachts
L’horizon se verdit. Batteries haute densité, propulsion hydrogène, antifouling bio-mimétique : la R&D tourne à plein régime. Les premiers catamarans de 40 m fonctionnant exclusivement au solaire sillonnent déjà la Méditerranée. À court terme, la réglementation IMO2025 imposera des limites d’émissions plus strictes. Les chantiers anticipent en allégeant les structures et en multipliant les solutions hybrides. Pour l’investisseur, l’enjeu est double : préserver la valeur de revente et accéder aux ports les plus sélectifs, de plus en plus sensibles au bilan carbone de leurs visiteurs. J’encourage désormais mes clients à inclure un audit énergétique dès la lettre d’intention. Une coque efficiente, c’est moins de fuel, donc plus d’autonomie et un argument en béton pour la location. Demain, la collection de yachts réussie sera celle qui conjugue esthétique, rendement et conscience climatique. Naviguer, oui, mais de façon durable : c’est la prochaine grande traversée.